10-30


J’avais  arrêté de lire Foglia.   Tannée de son obsession de vouloir nager à contrecourant.   Souvent condescendant.  

J’ai jeté un coup d’œil ces derniers temps.   J’cré ben que j’m’ennuyais.   Ce qu’il peut bien exprimer ce qui m’irrite autant que lui.  J’ai particulièrement apprécié son billet sur cet espace « urbain » (mon œil),  qu’on a nommé le quartier 10-30.  Mes étudiants connaissent mon aversion envers cet endroit.  Ca me rappelle un film vu en Philo où les humains étaient perçus comme étant les parasites des habitants de notre planète, les voitures.

J’essaie de leur faire comprendre que cet endroit tente l’impossible, reproduire l’énergie des quartiers qui se développent dans une vraie cité.   Ces quartiers habités et adaptés sont ceux où se créer les idées, l’art contemporain, l’identité de ses habitants...    La vie de quartier, c'est un work in progress constant.

Anyway, pour ceux qui n’ont pas La Presse…
Pierre Foglia
La Presse
Tu viens-tu au DIX30? me demande ma fiancée. Viens donc. Je n'ai pas encore dit oui qu'elle pose deux conditions. Je dois promettre de ne pas ronchonner et de ne pas parler d'elle dans ma chronique sur le DIX30. Je ne dirai pas que j'y suis allé avec elle. Promis?
Juré, chérie.
Je suis donc allé au DIX30 avec quelqu'un, je ne vous dirai pas qui, une femme d'un certain âge, très, très gentille. Très chocolat aussi. En arrivant au DIX30, elle a tout de suite mis le cap sur la chocolaterie Geneviève Grandbois, qui fait face à la salle de spectacle L'Étoile. Avec une autorité qui m'a fait penser que ce n'était peut-être pas la première fois qu'elle venait là, elle a commandé un chocolat chaud au piment d'Espelette, un brownie au chocolat blanc et à la pistache et un petit chocolat individuel au gianduia (de la pâte de noisette).
De la noisette, de la noisette, faut le dire vite. On dira ce qu'on voudra de Laura Secord, un chocolat à la noisette Laura Secord, c'est une noisette entière qui a été trempée dans du chocolat.
Sans ajouter qu'une boîte de chocolats à la noisette Laura Secord, avec des vraies noisettes, c'est genre 2,75$ la boîte. Chez Grandbois, c'est 2,75$ LE chocolat à la noisette pas de noisette.
T'avais promis de ne pas ronchonner.
Je ronchonne pas, je t'explique.
Au Pier 1, elle a acheté des décorations de Noël pour 2012 et un escargot en fer forgé, environ deux pieds de haut, une lame d'acier en spirale avec deux antennes sur le dessus. J'ai pas tout de suite vu que c'était un escargot. C'est quoi?
Tu vois pas? Les antennes?
Une télévision?
Je ne magasinerai plus jamais avec toi. A dit ça, pis une semaine après: Tu viens-tu au DIX30? Viens donc.
***
C'était la première fois que j'allais au DIX30. J'avais essayé quelques fois, je n'avais jamais trouvé l'entrée. Vous pensez que je fais mon comique? Même pas. Je n'ai jamais trouvé l'entrée et je suis loin d'être le seul. En venant de Montréal, c'est pas si simple non plus, mais en venant du sud comme moi, de Saint-Jean, de Granby, holà!
Cet échange est courant dans la vallée du Richelieu: Es-tu déjà allé au DIX30? Non, je ne sais pas comment faire.
Je m'attendais à un centre commercial. C'est une ville. Une ville dans la ville de Brossard. Brossard, qui n'avait pas de centre-ville, en a maintenant un. Un centre-ville qui appartient entièrement aux commerçants. Un centre-ville privé, en quelque sorte.
Tu ne marches pas d'un magasin à l'autre, t'y vas en voiture. Il y a 23 km (j'exagère sûrement) entre le Canadian Tire, à un bout, et le marché Adonis, à l'autre bout. Ils appellent ça, fouille-moi pourquoi, un centre d'achats de vie urbaine, en anglais lifestyle center. C'est même pas des rues, ce sont des avenues larges comme l'avenue Lénine à Moscou, qui ne s'appelle plus l'avenue Lénine mais qui est toujours aussi soviétique. Pareil pour le boulevard du Quartier, la grande artère du DIX30: il ne s'est jamais appelé le boulevard Lénine, mais cela ne l'empêche pas d'être totalement d'inspiration soviétique.
T'avais promis de ne pas ronchonner...
Je ne ronchonne pas. C'est juste qu'on devrait avoir le droit d'exécuter publiquement les architectes qui ont fait ça. Au moins de les gifler. C'est vous, ça, le DIX30? Pif. Paf.
Un rêve éveillé de président de chambre de commerce. La privatisation du plus public des lieux d'échange - le centre-ville. Et en plus, un urbanisme à chier, articulé autour des parkings.
Aux architectes et urbanistes retenus pour ce projet j'aurais imposé la lecture d'Italo Calvino, Les villes invisibles. Je leur aurais demandé ensuite de répondre à quelques questions. Quels liens faites-vous entre la ville et le ciel, entre la ville et le désir, entre la ville et le regard?
***
Quand on file sur la 10, le DIX30 s'annonce en mauve et rose, les couleurs du marché Adonis. J'allais chez Adonis il y a très longtemps pour les pâtisseries aux amandes, les épices, les piments, les tranches de navet rose mariné, les fromages aigrelets. C'était toujours plein. C'était, à l'époque, notre minuscule médina montréalaise. Puis Adonis a ouvert des succursales un peu partout, puis Metro a acheté Adonis et gardé le nom pour que les Libanais continuent d'y aller, mais c'est devenu un Metro. C'est plus le Liban, c'est la Montérégie avec quelques comptoirs à taboulé. L'Adonis du DIX30 ne fait pas exception aux autres, sauf qu'il est grand comme la Belgique et à peu près aussi exotique.
C'est plus drôle à côté, chez les granos-bios de chez Avril, où j'ai acheté des croquettes de poulet holistiques pour Tonton. Holistique, ça veut dire soigner le tout pour guérir le particulier, une approche qui convient parfaitement à mon Tonton souffreteux. Viens, mon Tonton, on va soigner ta toux et ton tout.
En revenant, dans l'auto, j'ai dit à la dame: je ne pense pas que je vais retourner jamais au DIX30. J'ai commencé à lui expliquer pourquoi.
T'avais promis de ne pas ronchonner...
Je ronchonne pas. C'est pas à ronchonner. C'est à tuer.

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